Exposition « Détails. L’architecture vue en coupe », à l’ENSA de Belleville, du 5 au 27 novembre 2015 (Grande galerie)
Conférences : 5, 19 et 26 novembre 2015 (amphi Bernard Huet)
Vernissage : Jeudi 5 novembre 2015 à 20h30, en présence de Simona Orsina Pierini
L’exposition est le résultat d’une vaste recherche sur la construction aujourd’hui qui a engagé plus de cinquante agences d’architecture de renommée internationale. Elles ont participé au projet en envoyant chacune trois ou quatre coupes de détail sélectionnées parmi leurs réalisations, pour un total de presque 200 détails exposés et disponibles sur le site
http://detailsinsection.org. Ce matériel constitue un atlas inédit disponible pour des activités pédagogiques ou de recherche, au croisement du monde professionnel et de l’université. Il a été complété par une série de planches dédiées à des architectes modernes.
Le but de cette recherche est de démontrer l’importance de la coupe pour représenter la complexité de l’architecture en permettant une perception simultanée de la matérialité et de la forme, de la façade et de la spatialité intérieure. Cette recherche naît d’un projet scientifique de Marco Pogacnik, du département d’Architecture, Construction et Conservation de l’Institut universitaire d’architecture de Venise et a été possible grâce à la collaboration de Orsina Simona Pierini du département d’Architecture et d’études urbaines du Politecnico de Milan.
L’exposition est accompagnée par les « causeries » de Novembre, sur la thématique « Question de détails », en partenariat avec la STO Stifftung :
- Jeudi 05.11.2015 : Frank Barkow, Barkow Leibinger, Berlin
- Jeudi 19.2015 : Gilles Perraudin, Perraudin Architecture, Lyon
- Jeudi 26.11.2015 : Yvonne Farrell & Shelley McNamara, Grafton Architects, Dublin
École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville – 60 boulevard de la Villette, 75019 Paris
Les textes de l’exposition
Aménager une exposition dédiée au détail dans une école d’architecture est l’occasion de célébrer la place centrale occupée par la construction dans l’enseignement de l’architecture. Les panneaux ici présentés constituent une anthologie dans laquelle étudiants comme enseignants sont invités à venir puiser. Nous souhaitons que cette exposition puisse-t-être un lieu d’étude et d’apprentissage et qu’elle apporte un regard critique sur la représentation du détail d’architecture.
Si nous exposons des dessins techniques, ce n’est pas pour révéler leur dimension esthétique mais plutôt pour pouvoir les observer avec un certain recul. Nous mettons ici en scène un renversement qui peut être rapproché de l’œuvre picturale de Jackson Pollock. L’intérêt de l’action painting ne réside pas seulement dans le résultat graphique exposé. L’œuvre est aussi une danse avec les couleurs sur la feuille disposée à terre. Le résultat témoigne à la verticale de mouvements vécus à l’horizontale. De façon analogue, les coupes ici présentées sont des action drawings.
Conçues autour d’une table, le crayon en main, au cours des discussions entre architectes, techniciens et ingénieurs en vue du chantier, elles changent de finalité lorsqu’on les bascule pour les exposer le long d’une paroi verticale.
Ces dessins sont le fruit d’un processus de normalisation graphique semblable au travail accompli au sein de rédactions de revues comme Detail. La majeure partie des planches ici présentées a été réalisée directement par des agences en activité, qui ont fait une sélection de quatre de leurs projets et les ont accompagnés d’un texte. Ces planches sont des prises de position sur le thème du détail qui explicitent la vision de la construction défendue par leurs auteurs. Une autre partie de l’exposition est dédiée à l’étude de quelques cas historiques. Elle est le fruit d’un patient travail de redessin réalisé par des étudiants de l’IUAV de Venise et du Politecnico de Milan.
Les étudiants, sous la conduite d’enseignants et d’assistants, ont interprété de nombreux dessins d’archive à la lumière de photos du bâtiment et quand c’était possible, de photos du chantier. Cette confrontation de différentes sources a parfois révélé des incohérences significatives d’importance fondamentale pour la compréhension de l’œuvre.
Les coupes ici présentées, bien que classées parmi les représentations techniques, n’ont plus le chantier pour finalité. Ce sont des outils de connaissance et elles ont pour but de mettre en valeur les intentions projettuelles des architectes. Pour aider les visiteurs à entrer dans cette optique, nous proposons quatre catégories critiques. Ces filtres se surimposant au regard porté habituellement sur les dessins techniques, mettront en évidence les liens existant entre construction et perception.
Ornamentum
Cette catégorie trouve son origine dans l’ornement. Exprimé à travers le dessin de corniches et de modénatures dans l’architecture classique, il définissait le caractère d’un édifice. L’introduction de la notion moderne de structure à la fin du XVIIIe siècle a conduit à la séparation de structure et d’ornement, réduisant ce dernier au rôle de simple décoration surrimposée.
Cependant, si l’on définit l’architecture comme un art de la construction qui dialogue avec un contexte naturel ou social en évolution, l’ornement conserve toute sa valeur.Son dessin permet à l’architecte de conserver un contrôle sur la construction afin de la rendre expressive. Une esthétique comme la tectonique a ainsi pour but de rendre intelligible les forces qui gouvernent la statique d’un édifice.L’œuvre des rationalistes français du début du XXe siècle comme Auguste Perret offre de beaux exemples de ces recherches. Poussés par un intérêt renouvelé pour la tectonique exprimé en 1991 par Hans Kollhoff dans son essai «Le mythe de l’architecture et l’architectonique» (Kollhoff, 1993), certains architectes contemporains reprennent également des formes héritées de la tradition et les traduisent en utilisant les techniques d’aujourd’hui.
Junktur
L’avènement de la construction métallique au cours du XIXe siècle a transformé le monde du bâtiment. Ce nouveau procédé constructif utilise en effet des éléments préfabriqués en usine qui sont transportés sur le chantier prêts à l’emploi. Dans cette raison constructive qui implique un montage à sec, le dessin des jonctions entre les différents éléments assume un rôle de plus en plus important. Si certains éléments comme les cloisons, s’adaptent parfaitement aux règles de la production en grande série, les joints sont en revanche plus difficiles à standariser.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Konrad Wachsmann a par exemple développé avec l’entreprise General Pannels et l’architecte Walter Gropius un système d’assemblage standard de panneaux préfabriqués. Ses connecteurs pluridirectionnels simplement encastrés sans rivets ni vis autorisaient de nombreuses configurations spatiales.
Ils ne furent malheureusement pas produits à échelle industrielle. Des systèmes constructifs préfabriqués ont depuis conquis le marché du bâtiment et bien peu de chantiers résultent encore aujourd’hui d’un travail uniquement artisanal.Bien qu’il existe des détails standards, la grande diversité des situations réelles nécessite néanmoins toujours de dessiner au cas par cas certains nœuds. Les joints entre les briques, les encastrements de poutres en bois ou les soudures et articulations métalliques restent ainsi autant de lieux possibles d’expression pour l’architecte.
No-detail
La perfection des joints de la nouvelle Citroën a conduit Roland Barthes en 1957 à lui attribuer le statut de mythe d’aujourd’hui en affirmant : « Il y a dans la DS l’amorce d’une nouvelle phénoménologie de l’ajustement, comme si l’on passait d’un monde d’éléments soudés à un monde d’éléments juxtaposés et qui tiennent par la seule vertu de leur forme merveilleuse, ce qui, bien entendu, est chargé d’introduire à l’idée d’une nature plus facile. » (Barthes, 1957)
Dans cette brève description se trouve condensé le caractère et l’essence du no-detail. Ce type de détail constructif tend à cacher les éléments qui tiennent ensemble les parties, redimensionnant de ce fait le rôle expressif de la technique. Les vis, boulons et soudures se dérobent totalement à la vue. Le détail, n’explicite plus comment l’objet a été construit. Le lien entre expression et mode de production est coupé. La fascination ne dérive plus de l’exhibition de la complexité technique nécessaire à la construction mais de son exact opposé: du mystère dans lequel reste enveloppée la réalisation. Les éléments de connexion étant réduits au minimum, l’expression de l’objet se voit confiée aux superficies, aux lignes et aux rares points qui restent visibles.
Punctum
En traversant une architecture, il arrive que notre regard en mouvement s’arrête sur quelques détails localisés en des points précis qui sollicitent notre attention plus que d’autres. Ces détails nous attirent, non pas par leur conformation particulière, mais avant tout par leur capacité à amorcer en nous une série de raisonnements qui nous conduisent vers une compréhension inattendue de l’œuvre.L’historien de l’art Daniel Arasse dans Le Détail (Arasse, 1992) admet à propos de certaines peintures, que « Les étonnements éprouvés étaient d’autant plus forts que le détail se manifestait […] comme un écart ou une résistance par rapport à l’ensemble du tableau ; il semblait avoir pour fonction de transmettre une information parcellaire, différente du message global de l’oeuvre – ou indifférente à celui-ci». Ce qui intéresse Daniel Arasse, c’est l’analyse de ces éléments anarchiques qui peuvent transformer la lecture de l’œuvre.Tous les détails qui arrêtent notre attention ne contribuent certes pas à la compréhension d’un édifice, mais lorsque la construction se dissocie des aspects expressifs de l’architecture comme chez Rem Koolhaas, les détails deviennent muets. L’architecture cesse alors d’être un art de la construction pour devenir un art abstrait.
Textes par Alberto Franchini et Nicolas Moucheront